Son Excellence le Président de la République, Président de l’Union africaine, M. Mohamed Ould Cheikh E- Ghazouani, a participé, cet après-midi, à Paris, en marge du Sommet de la Francophonie, au forum « Journée de l’Afrique » organisé cette année à l’Amphithéâtre Émile Boutmy de l’Ecole des Sciences Politiques de Paris, sous le thème : « Unis pour l’Afrique, Inspirons l’Excellence ».
S.E. le Président de la République a été reçu à l’entrée de SciencesPo par M. Louis Vassy, directeur de l’Institut d’études politiques de SciencesPo, Mme Arancha Gonzalez, Doyenne de l’Ecole des Affaires Internationales de Paris, et Mme Nachouat Maghouar, directrice générale de la French-African Foundation de Sciences Po.
Son Excellence le Président de la République, Président de l’Union africaine, a donné une conférence à l’amphithéâtre Émile Boutmy, devant les étudiants de l’Institut des Sciences Politiques de Paris, sous le titre « Maintenir un pays en paix dans une région en conflit », soulignant l’importance de s’adresser à ces étudiants, futurs décideurs, et l’expérience de la Mauritanie dans la lutte contre l’extrémisme et le terrorisme. Voici l’intégralité du texte de cette conférence :
” Merci Madame Nachouat Meghouar, direcrtice de la fondation French-Africa, pour cette aimable présentation.
Merci aussi à Louis Vassy directeur de Sciences Po Paris et à Mme Arancha Gonzales, Doyenne de l’Ecole des Affaires Internationales de Paris, ainsi qu’à tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à ce que je puisse, aujourd’hui, prendre la parole dans cette prestigieuse institution, haut lieu du savoir, de la science et de l’excellence qu’est l’Institut d’Études politiques de Paris.
Je remercie aussi les étudiantes et étudiants, ici présents, et leur signifie tout le plaisir que j’ai à échanger avec eux autour de thématiques vitales pour mon pays comme pour mon continent et, par-delà, pour le Monde dans son ensemble.
J’ai été invité à vous entretenir de l’expérience de mon pays en matière de lutte contre l’extrémisme et le terrorisme. J’essayerai, donc, de vous en faire une présentation globale, tant sur le plan des approches et des mesures mises en œuvre à l’échelle nationale, que sur celui des stratégies et des actions collectives engagées dans ce cadre.
Je profiterais de l’occasion pour mettre en exergue les principaux enseignements et leçons tirés de cette expérience et qui, aujourd’hui, fondent notre approche des questions de terrorisme et d’insécurité à l’échelle nationale et régionale.
Enfin, comme je m’adresse, en vous, à l’Élite de demain, je me permettrais de vous adresser quelques mots à propos des défis mondiaux majeurs que vous aurez la responsabilité de relever.
Comme vous le savez, le terrorisme et l’extrémisme sont, aujourd’hui, présents quasiment un peu partout à travers le monde. Ils constituent, pour notre continent et particulièrement pour notre région sahélienne, le défi principal que nos Etats devront impérativement relever, individuellement et collectivement, en vue de préserver la stabilité et la sécurité indispensables à la réalisation de nos objectifs de développement.
Les violences terroristes, par leur nature transfrontalière et leur étroite liaison avec des acteurs non étatiques, ont mis à mal nos stratégies sécuritaires classiques, souvent centrées sur la défense de l’intégrité territoriale face à l’éventuelle agression d’un état tiers, et qui, aujourd’hui, ne répondent que très partiellement aux multiformes défis sécuritaires.
L’extrémisme et le terrorisme sont historiquement et culturellement étrangers à notre continent. L’histoire et la culture de mon pays en sont une illustration vivante.
En effet, la Mauritanie fut, des siècles durant, et demeure encore, un espace de brassage et de métissage des peuples du Sud et du Nord du Sahara, qui a produit un admirable syncrétisme culturel, aujourd’hui, substrat identitaire de notre peuple. En Mauritanie, nous sommes du Nord comme du Sud du Sahara, nous sommes blancs et noirs, nous sommes arabes, berbères et africains.
En dépit de cela, l’extrémisme et le terrorisme qui se sont, ces dernières décennies, insidieusement infiltrés dans notre continent, profitant de la convergence destructrice de la pauvreté, de la mal gouvernance, du sous-développement, des tensions sociales et des ruptures violentes des légitimités constitutionnelles, ont fini par s’étendre à notre pays.
C’est ainsi qu’à l’instar de la plupart des pays de notre région, nous avons connu, sur notre territoire, des actions terroristes meurtrières : attaques contre des casernes militaires et contre d’innocents civils, mauritaniens comme étrangers, prise d’otages… bref nous avons connu toute la panoplie standard du terrorisme.
Cette situation dramatique hypothéquait sérieusement la sécurité et la stabilité de notre pays. Pour y faire face, efficacement, nous avons conçu et mis en œuvre une approche multidimensionnelle intégrée d’ordre à la fois sécuritaire, culturel et idéologique, social, politique et économique.
Sur le plan sécuritaire, il nous a fallu, d’abord, parer au plus pressé, c’est à dire restaurer la sécurité et la stabilité en engagent une lutte sans merci contre les groupes terroristes. Pour ce faire, nous avons œuvré à renforcer nos forces armées et de sécurité par :
– La mise à niveau continue des capacités opérationnelles des unités de nos forces armées et de sécurité : adaptation de leurs équipements, formation et entrainement opérationnel à la menace terroriste ;
– La mise en œuvre d’une chaine de renseignement appropriée pour la prévention des actions terroristes ;
– La création de plusieurs unités spéciales dédiées à la menace asymétrique (mobilité, modularité, polyvalence et souplesse) ;
– Le renforcement de la coordination systématique avec les partenaires régionaux et internationaux pour plus de fluidités des échanges d’informations,
Sur le plan culturel et idéologique, nos érudits et nos oulémas ont engagé un débat religieux, libre et ouvert, avec la frange de notre jeunesse qui s’est engagée dans l’action terroriste, en vue de les convaincre du caractère absolument erroné des thèses extrémistes et de la nature, par essence, modérée et tolérante, de l’islam.
Cette action a permis de ramener dans le droit chemin l’écrasante majorité des jeunes qui avaient été victimes de l’intoxication extrémiste. Un programme d’accompagnement des repentis a été mis en place par le gouvernement pour s’assurer de leur insertion dans la vie active et pour éviter les récidives.
En outre, nous avons mis en place un vaste programme d’information et de sensibilisation pour protéger notre jeunesse face aux propagandes des extrémistes et pour diffuser les valeurs de tolérance, de modération et d’ouverture à l’Autre, qui constituent la quintessence de l’islam sunnite.
Au niveau social, nous avons travaillé à renforcer l’unité nationale et la cohésion sociale. Nous avons mis en place un arsenal juridique pour combattre les discours véhiculant la haine et le racisme ou incitant à la violence ou à l’extrémisme. Tout comme nous avons œuvré à renforcer l’état de droit, à ancrer davantage les droits de l’homme et les libertés individuelles et collectives et à renforcer la liberté de la presse en libéralisant l’espace audiovisuel et en dépénalisant les délits de presse.
D’autre part, et toujours dans l’esprit de mieux prémunir notre jeunesse contre les sirènes de l’extrémiste, nous avons renforcé notre stratégie d’insertion et d’emploi des jeunes, tout comme nous avons mené une politique active visant à assurer l’implication massive des jeunes et des femmes dans la vie politique et la gestion des affaires publiques.
Au niveau économique, nous avons œuvré à tarir les sources de financement des terroristes en instaurant une surveillance stricte des mouvements de fonds, en refusant systématiquement toute forme de contrepartie pour la libération des otages et en engagent une lutte implacable contre toutes les formes de trafics susceptibles de servir de sources de financement aux terroristes.
Dans le même temps nous avons placé l’amélioration des conditions de vie des couches vulnérables ou déshéritées de nos populations au centre de nos stratégies de développement.
Nous avons ainsi mis en place un large filet de sécurité sociale destiné à assister les citoyens à revenu modeste et à renforcer leur résilience face aux aléas de la vie quotidienne. Cela s’est traduit par l’augmentation de leur pouvoir d’achat, l’amélioration de leur accès aux services de base, à l’assurance maladie et à l’habitat décent.
Globalement, nous avons œuvré à renforcer l’unité nationale, à soutenir les vecteurs de cohésion sociale en centrant nos programmes et nos stratégies sur la lutte contre la pauvreté et la précarité, et sur la construction d’un développement durable et inclusif.
Au niveau politique, nous avons privilégié l’ouverture et le dialogue permanent avec l’ensemble des acteurs de la scène politique nationale, renforcé nos institutions et notre système démocratique.
En outre, conscients que les situations dans les pays de notre région s’impactaient directement, les unes les autres, nous avons, en Mauritanie, très vite, acquis la ferme conviction qu’une victoire durable contre le terrorisme, ne peut être obtenue que dans le cadre d’une étroite coopération et d’une forte solidarité agissante à l’échelle régionale, continentale et internationale.
Aussi, nous avons, dès l’année 2014, à Nouakchott, mis en place avec nos voisins les plus directement menacés (le Mali, le Burkina, le Niger et le Tchad,) l’organisation du G5 Sahel qui a mobilisé autour d’elle de nombreuses initiatives internationales de soutien.
Le G5 Sahel est un cadre institutionnel de coopération sous régionale en matière de sécurité et de développement qui vise à permettre la mutualisation de nos moyens et la mise en synergie de nos efforts dans le cadre d’une approche fondée sur le principe de l’indissociabilité des questions sécuritaires et des questions de développement.
Il a permis, sur le plan sécuritaire, d’améliorer sensiblement la coordination entre les Etats-Majors de nos armées, de mutualiser nos chaines de renseignement, d’améliorer nettement notre capacité collective à anticiper, prévenir ou réagir, de manière groupée et coordonnée, à la menace terroriste.
Parallèlement à cet aspect sécuritaire, un Programme d’Investissement Prioritaire, qui consacre une large part au développement, a été mis en place avec l’appui et l’accompagnement de nos partenaires.
Malheureusement, pour des raisons qui leur sont propres et par décision souveraine que nous respectons, nos frères maliens, nigériens et burkinabé se sont retirés du G5 mettant ainsi fin à l’opérationnalité de l’organisation.
Nous demeurons cependant convaincus que, dans son principe, le G5 est une idée pertinente ; car il est impossible, dans un combat prétendant à l’efficacité contre le terrorisme, de faire l’économie d’un cadre de coordination et de mutualisation des moyens, peu importe par ailleurs, sa structure formelle ou sa dénomination.
Et c’est précisément dans cet esprit de coordination de solidarité agissante et de mutualisation de moyens que nous travaillons aujourd’hui, en tant que Président en exercice de l’union africaine, à dynamiser et à renforcer le Conseil de Paix et de Sécurité, et ses multiples mécanismes de soutien comme, entre autres, le Système continental d’alerte rapide (SCAR) et la Force Africaine en Attente (FAA).
Tout comme nous soutenons fortement les efforts visant, en Afrique, à promouvoir le renforcement de l’état de droit, la lutte contre la corruption et la fraude électorale, afin de bâtir de véritables démocraties capables d’assurer l’alternance, dans la paix, la stabilité et la transparence, et de fonder la légitimité du pouvoir. Car, très souvent, le pouvoir à tendance à compenser le déficit de légitimité par un surcroit de violence engendrant davantage d’insécurité et d’instabilité sociopolitique.
Je suis convaincu qu’il est particulièrement nécessaire et urgent de travailler à apaiser la vie politique, à dépasser, par le dialogue et le consensus, les dissensions sociales et les animosités inter-ethniques
Dans ce cadre, je considère que le capital social et le savoir local des sociétés africaines dans la prévention, la gestion et la résolution des conflits est d’une importance capitale. On doit valoriser et optimiser le rôle des communautés, des leaders sociaux, de la société civile, et des organisations communautaires de base. Il me semble qu’explorer les creusets culturels et les modes séculaires de médiation sociale, constitue une piste digne d’intérêt.
Parallèlement, on devra œuvrer en vue de permettre, à tous, l’accès, dans l’équité, aux conditions d’une vie descentes, d’offrir à nos jeunes des perspectives d’avenir autrement plus prometteur que la course tragique à une immigration clandestine sans lendemain ou le recours aux trafics illicites en tout genre et aux crimes organisés.
Globalement, donc, l’ensemble des mesures sécuritaires, culturelles, sociales, politiques et économiques, mises en œuvre en Mauritanie, dans le cadre de notre stratégie sécuritaire intégrée, conjugué à nos efforts sur le plan régional et continental nous a permis, jusqu’à présent, d’éviter des actions terroristes sur notre territoire (aucune action terroriste n’a été perpétré sur notre territoire depuis 2011) et d’y assurer la sécurité et la paix sociale, améliorant ainsi, significativement, les conditions de mise en œuvre de notre stratégie de croissance accélérée et de prospérité partagée.
Nous demeurons, cependant, pleinement conscients, qu’en matière de terrorisme et d’extrémisme, le risque zéro n’existe pas, et que le combat pour la stabilité, la sécurité la cohésion et la paix sociale est un combat de tous les jours, qui nécessite, sur tous les plans, une action permanente et une vigilance de tous les instants.
Ce que nous retenons de notre expérience en matière de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme, c’est la nécessité d’une approche multidimensionnelle qui privilégie la coordination régionale et internationale des efforts et s’attaque non seulement aux manifestations violentes de l’extrémisme mais aussi, et surtout, à ses racines.
Cette approche doit partir du principe que le combat pour la sécurité et celui pour le développement vont de pair et s’impactent mutuellement et que, jamais, le terrorisme ne sera vaincu, si, parallèlement à l’action sécuritaire, on ne déploie pas d’énormes efforts en vue de généraliser l’accès à une éducation de qualité, d’instaurer un véritable État de droit, de créer des opportunités d’emploi, d’assurer aux populations les conditions d’une vie décente, dans la dignité et le respect, d’améliorer la gouvernance, et de promouvoir un développement durable et inclusif.
D’autre part, nous avons acquis la conviction que dans le village planétaire qu’est devenu notre monde, du fait de la globalisation et de l’intensification des échanges, les questions de paix et de sécurité ne sont plus des questions qui peuvent se traiter ou se résoudre, durablement, à l’échelle des États pris individuellement. Chaque conflit, où qu’il se déroule et quelle qu’en soit la forme, possède toujours une dimension géopolitique fortement présente, autant dans ses causes que dans ses effets. La sécurité durable de chacun requiert la sécurité de tous.
Or, l’une des sources majeures de l’instabilité, des conflits et de l’insécurité dans le monde réside dans la propension des États à vouloir construire leur sécurité aux dépens de celle des autres et à chercher par tous les moyens à renforcer leur puissance militaire et économique et à affaiblir celle des autres. Pire, ils font de l’atteinte de cet objectif la valeur fondamentale sur l’autel de laquelle ils sacrifient toutes les autres valeurs communes de l’humanité.
Regardez les monstruosités dont l’humain est capable, lorsque, sous couvert du droit de faire face à une menace sécuritaire, réelle ou supposée, il s’affranchit de toutes les normes et de toutes les valeurs du droit international humanitaire provocant génocides, crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Plus grave encore cela se fait souvent dans l’indifférence d’une grande partie de la communauté internationale. Tout se passe comme si l’universalité et la sacralité des droits fondamentaux de l’homme, fortement revendiquées dans les discours, se trouvaient subitement, dans les faits, circonscrites aux seuls droits des siens et de ses alliés.
C’est l’inacceptable politique du « deux poids deux mesures » qui affecte négativement notre confiance en nos valeurs communes et en nos institutions de gouvernance mondiales et affaiblit également notre solidarité pourtant nécessaire pour faire face ensemble aux multiples défis qui hypothèquent notre avenir commun.
Vous êtes chers étudiantes et étudiants, l’Elite de demain, à laquelle il reviendra de faire face aux multiples crises sécuritaires, économiques et écologiques qui ravagent notre monde d’aujourd’hui.
Ne cédez jamais à l’indifférence.
Défendez l’égalité des Hommes et leurs droits imprescriptibles partout dans le monde comme s’il s’agissait de vos propres droits.
Et je suis d’autant plus fondé à vous y exhorter que nous nous trouvons présentement au berceau des droits de l’homme. Car, c’est ici à Paris, qu’ont vu le jour la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et la « Déclaration universelle des droits de l’homme » de 1948.
N’oubliez jamais que, comme posé dans le premier alinéa du préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la reconnaissance dans les faits de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde.
Gardez constamment à l’esprit que, plus les inégalités d’avoir, de savoir ou de pouvoir, se creusent au sein des Etats et entre eux, moins il sera possible de faire face aux questions d’immigration, d’insécurité et d’instabilité à travers le monde.
C’est seulement ensemble, par la conscience aigüe de notre communauté de destin, par la solidarité, par le développement du multilatéralisme et par la réforme des institutions de gouvernance mondiale, que nous pourrons dissiper les incertitudes qui planent sur notre devenir commun et sur celui de notre planète.
Je vous remercie”.